L’état des opérations de maintien de la paix des Nations unies en Afrique

Le général Birame Diop évalue les défis auxquels les opérations de l’ONU en Afrique font face, y compris la perte de soutien du pays hôte, la désinformation et les acteurs non-étatiques dont la violence est de plus en plus brutale.


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Dans cet entretien du Centre d’études stratégiques de l’Afrique avec le général Birame Diop, Conseiller Militaire du Département de paix des Nations Unies, le général Diop note qu’aujourd’hui être gardien de la paix en Afrique devient de plus en plus dangereux. Alors même que 40 % des opérations de maintien de la paix de l’ONU sont déployées en Afrique, de nombreux facteurs politiques les ont rendues plus difficiles, notamment le déclin du soutien des autorités du pays hôte et les campagnes de désinformation ciblant ces opérations,.

Les opérations de maintien de la paix jouent cependant un rôle à la fois inestimable et sous apprécié dans la stabilisation des régions très fragiles d’Afrique, en particulier celles qui font face à des acteurs violents non-étatiques. Le General Diop rappelle aux publics africains que “la paix a un prix” et que l’insécurité dans un pays peut répandre l’instabilité dans toute une région. Le leadership africain sera donc nécessaire pour mobiliser les ressources et la volonté politique pour soutenir l’éventail complet des opérations de paix, des systèmes d’alerte précoce aux négociations pour mettre fin aux conflits armés qui sévissent sur le continent.

Transcription de l’entretien

Katie Nodjimbadem : [00:00:04] Nous sommes au Centre d’études stratégiques de l’Afrique, à Washington, et nous vous souhaitons un bon après-midi. Je suis Katie Nodjimbadem, et aujourd’hui je suis rejointe par le général Birame Diop pour parler de l’état des opérations de maintien de la paix en Afrique. Le général Diop est conseiller militaire au sein du département des opérations de paix des Nations unies. Auparavant, il a été chef d’état-major des forces armées sénégalaises, conseiller à la sécurité nationale du président du Sénégal et chef d’état-major de l’armée de l’air. Il a également été adjoint et chef des opérations aériennes de la mission des Nations unies en République démocratique du Congo. Bienvenue au Centre d’études stratégiques de l’Afrique, Général Diop.

Général Birame Diop : [00:00:45] Merci beaucoup.

Nodjimbadem : [00:00:47] Pour commencer, de votre point de vue, quel est l’état des opérations de paix en Afrique aujourd’hui ?

Diop : [00:00:54] Merci pour votre question. Je pense que c’est une question très intéressante, et je dirais plutôt que la situation du maintien de la paix en Afrique n’est pas aussi positive que l’on voudrait qu’elle le soit parce que principalement la perception des missions de maintien de la paix en Afrique n’est pas toujours positive. La raison pour laquelle nous n’avons pas une perception positive, à mon avis, est liée au fait qu’il y a des écarts d’attentes parmi les populations d’Afrique, car d’un côté, elles attendent beaucoup des missions de maintien de la paix. Mais d’un autre côté, nous ne pouvons que mettre en œuvre le mandat qui nous a été confié. Et les mandats, malheureusement, ne sont pas toujours en adéquation avec les attentes de la population. C’est donc au niveau de la perception que cela se passe. Maintenant, nous pensons aussi que nous aurions pu faire mieux en termes de missions de maintien de la paix à travers le continent, si nous avions pu bénéficier d’un soutien plus fort de la part des pays hôtes. Ils font ce qu’ils pensent être la bonne chose à faire, mais nous sommes convaincus que nous pouvons faire mieux ensemble pour que notre partenariat soit plus fort et pour faciliter la mise en œuvre du mandat. Nous sommes également convaincus qu’avec la désinformation, les populations ne perçoivent pas toujours exactement notre utilité, et qu’elles sont parfois victimes de manipulations de l’information qui font que nous sommes perçus comme des personnes qui ne sont pas très utiles à la population. Cela crée une déconnexion entre les populations et les soldats de la paix. Et vous savez très bien que sans le soutien total des populations, il peut être extrêmement difficile pour les missions de maintien de la paix de réussir.

Nodjimbadem : [00:03:36] Eh bien, jusqu’à présent, comment les opérations de paix ont-elles contribué à la paix et à la sécurité en Afrique ? De quelle manière ont-elles été couronnées de succès ?

Diop : [00:03:46] Je pense que les missions de maintien de la paix dirigées par les Nations unies ont essayé de s’assurer qu’elles contribuaient à la stabilisation et à la pacification des pays où les soldats de la paix sont déployés parce qu’il y a des crises.  Tout d’abord, soulignons que les Nations unies accordent une attention toute particulière au continent africain. À ce jour, on estime qu’environ 40 % des activités du Conseil de sécurité de l’ONU se concentrent sur les questions africaines. Nous organisons également chaque année, de septembre à décembre, un débat général sur la paix et la sécurité en Afrique. Nous avons un bureau à l’Union africaine. Beaucoup d’initiatives et de réunions avec l’Union africaine se concentrent sur la paix et la sécurité sur l’ensemble du continent. Sur les 71 premières missions entreprises par les Nations unies, 31 se trouvent en Afrique et sur ces 71 missions, environ 80 % ont été déployées en Afrique. Et chaque fois que l’Afrique a été confrontée à des situations difficiles, les Nations unies ont été en mesure de répondre positivement à la demande du continent.

Aujourd’hui, nous participons à six missions de maintien de la paix, y compris celle de la Minusma, qui est actuellement en phase de démantèlement. Dans les six pays où nous sommes déployés, nous faisons tout notre possible pour nous assurer que les mandats sont mis en œuvre, que les civils sont protégés et que l’aide humanitaire est apportée à ceux qui en ont besoin. Les réformes du secteur de la sécurité sont entreprises dans les meilleures conditions. Les processus de démobilisation, de désarmement et de réintégration sont également organisés de manière à réduire la prolifération des armes légères et de petit calibre qui alimentent les conflits en Afrique. Dans l’ensemble, nous pensons donc que, oui, il y a quelques difficultés, mais que les missions des Nations unies en Afrique ont été dans l’ensemble assez satisfaisantes. Et la question que l’on devrait se poser est la suivante : quelle serait la situation si les Nations unies n’étaient pas là ? Nous ne résolvons peut-être pas le conflit de manière définitive, mais nous sommes au moins en mesure d’empêcher qu’il ne devienne totalement incontrôlable.

Nodjimbadem : [00:07:21] Quelles tendances observez-vous actuellement en matière d’opérations de maintien de la paix en Afrique ?

Diop : [00:07:29] La tendance que je constate est que nous sommes de plus en plus confrontés à un afflux d’acteurs non étatiques dans nos missions de maintien de la paix, et que nous souffrons également d’un niveau élevé de violence. L’augmentation du nombre d’acteurs non étatiques rend très difficile la sécurité des soldats de la paix, car les acteurs non étatiques ne reconnaissent pas les soldats de la paix en tant que tels et les prennent donc pour cible de la même manière que leurs adversaires et leurs ennemis. Aujourd’hui, la tendance est donc que le port d’un casque bleu ou d’un béret bleu n’est pas considéré comme une garantie de sécurité et de protection contre les acteurs non étatiques. C’est une première tendance.

L’autre tendance est liée à la désinformation qui conduit malheureusement à ce que nous appelons un effet de double peine. D’une part, les soldats de la paix prennent des risques. Certains d’entre eux perdent la vie. Certains d’entre eux sont gravement blessés pour toujours. Certains d’entre eux, lorsqu’ils rentrent chez eux, subissent des conséquences sociales dans leur famille. Mais d’un autre côté, à cause de la désinformation et de la manipulation de l’information, ils sont présentés comme étant des personnes inutiles. C’est une double peine. Ils perdent leur vie, ils prennent des risques, mais ils sont toujours présentés comme des personnes peu utiles. La tendance est aussi de voir de plus en plus de difficultés entre la mission et le pays d’accueil. Et vous savez très bien que si nous n’avons pas un bon partenariat entre le pays hôte et la mission, et même si nous n’avons pas de complicité entre la nation hôte et la mission, il peut être extrêmement difficile pour le mandat d’être mis en œuvre dans des conditions optimales.

Nodjimbadem : [00:10:06] Et que constatez-vous en matière de coopération ou de complicité entre les pays ? A-t-elle évolué dans le temps ?

Diop : [00:10:15] Je ne peux pas vous dire exactement quand nous avons remarqué ce changement de paradigme, si vous voulez. Mais je sais que nous en avons souffert dans plusieurs de nos missions africaines, notamment à la Monusco, où nous rencontrons parfois des difficultés. À la Minusma, nous avons rencontré de nombreux défis dans le cadre du partenariat attendu entre l’État et la mission. À la Minusma, nous avons connu des hauts et des bas, mais ce que l’on attend des Nations unies et du pays hôte, c’est qu’ils essaient de faire des compromis pour que nous puissions nous rencontrer à mi-chemin, parce que nous sommes des partenaires. Nous ne sommes pas des adversaires. Nous essayons d’atteindre le même objectif et de mettre en œuvre le même mandat. Il est également important  non seulement que l’État et les missions construisent un partenariat solide, mais aussi que ce partenariat soit également suffisamment large pour inclure les populations. En effet, sans le soutien de ces dernières, il peut être extrêmement difficile pour les forces de maintien de la paix de réussir, car ce sont les populations qui sont au cœur des événements. Et si elles ne font pas confiance à la mission, elles ne partageront pas ce qu’elles voient ou entendent au quotidien, et par conséquent, la mission pourrait souffrir du fait que les forces de maintien de la paix ne disposent pas des renseignements appropriés et opportuns pour entreprendre leurs opérations dans les meilleures conditions possibles.

Nodjimbadem : [00:12:15] Sur la base de votre expérience des opérations de maintien de la paix en Afrique, qu’il s’agisse de servir au sein de ces opérations ou de les surveiller, que pensez-vous qu’il soit possible de faire pour les améliorer ou les faire progresser à l’avenir ?

Diop : [00:12:29] Je pense qu’il y a beaucoup de choses que nous pouvons faire pour améliorer le maintien de la paix. L’un des éléments que nous devons garder à l’esprit est la prévention, car la prévention fait partie du maintien de la paix. Si vous empêchez les conflits et les crises de se produire, je pense que vous pouvez rester en paix. La prévention est donc extrêmement importante. Il faut réagir avant qu’il ne soit trop tard. Mais nous savons aussi que, de manière réaliste, nous ne pouvons pas prévenir les conflits à 100 %. Les conflits se produiront toujours. Nous devons donc disposer de mécanismes très efficaces et efficients qui peuvent nous aider en cas de conflit, en cas de crise, et qui peuvent faciliter la résolution de ce conflit. Par ailleurs, au niveau national, nous devons prendre en compte le fait que, de manière générale, la sécurité d’un pays est intrinsèquement liée à celle de ses voisins. Nous avons donc la responsabilité, en temps de paix, de travailler ensemble pour que, au niveau régional, nous puissions disposer de mécanismes efficaces qui nous aident à faire face à toute crise qui éclate dans l’un de nos pays. Je ne pense pas que ce soit le cas aujourd’hui. Nous avons des forces africaines en attente qui devraient être rendues opérationnelles à un niveau tel que nous puissions réagir avant qu’il ne soit trop tard. Nous devons également reconnaître que la paix a un coût, un prix. Nous devons donc trouver les moyens de mobiliser les fonds et les capacités nécessaires pour nous aider à faire face à nos crises de manière efficace. Aujourd’hui, nous ne pouvons pas avoir des mécanismes très efficaces mis en place par nos États si ces mécanismes ne sont pas adoptés par notre population. Nous devons donc également sensibiliser les populations et les communautés afin qu’elles comprennent qu’elles doivent vivre ensemble pacifiquement. Et lorsqu’une crise survient quelque part, les populations ont un rôle à jouer pour maintenir la paix dans les communautés et assurer qu’elles ne s’engagent pas dans un conflit. Nous devons également veiller à ce que nos institutions de sécurité soient professionnalisées afin qu’elles n’interfèrent pas dans l’arène politique. Et qu’elles sont là avec la neutralité, l’impartialité, qu’elles doivent respecter afin de pouvoir accompagner le pays lorsqu’il est confronté à des moments difficiles.

Nodjimbadem : [00:15:48] Et quand vous parlez d’institutions, vous faites référence exclusivement à l’armée ou à d’autres organismes ?

Diop : [00:15:54] Vous savez, quand je parle d’institutions de sécurité, je fais référence à l’armée, bien sûr, mais aussi à la police et à la gendarmerie dans les pays où il y a une gendarmerie, toutes ces institutions. Le secteur de la sécurité englobe toutes les composantes, car chacune d’entre elles a un rôle spécifique à jouer, et elles sont toutes complémentaires. Elles doivent toutes être professionnalisées, faute de quoi l’une d’entre elles pourrait nuire à l’ensemble du travail accompli par le secteur de la sécurité dans son ensemble.

Nodjimbadem : [00:16:32] Et quelles mesures les acteurs africains devraient-ils prendre pour s’assurer que les opérations de paix s’adaptent pour répondre aux défis actuels et futurs en matière de sécurité sur le continent ?

 Diop : [00:16:44] Je pense que les Africains doivent s’approprier les missions de maintien de la paix qu’ils organisent pour faire face à une crise ou à un conflit, parce qu’il s’agit de leur propre sécurité. On ne peut pas être en sécurité si l’on dépend exclusivement des partenaires extérieurs. Il faut jouer un rôle de premier plan. L’Afrique devrait donc jouer un rôle de premier plan dans le maintien de sa sécurité. Pour ce faire, les Africains doivent mettre en place des mécanismes pertinents et efficaces capables d’anticiper les crises et les conflits, de faciliter la médiation et la négociation, afin de disposer de mécanismes pacifiques susceptibles de nous aider à résoudre nos différends. C’est une responsabilité de l’Afrique. Et quand je dis l’Afrique, je fais référence à l’Union africaine, qui est notre bien collectif, qui est notre organisation continentale, et qui a la responsabilité de créer ces mécanismes. J’ai également dit tout à l’heure que, comme vous le savez, la paix a un coût. Nous ne pouvons donc pas disposer de mécanismes de maintien de la paix efficaces et pertinents si nous ne trouvons pas le moyen de mobiliser les ressources et les capacités nécessaires pour nous aider à résoudre efficacement nos crises. Nous devons également établir des partenariats, car l’Afrique est un continent, certes, mais ce n’est pas un continent isolé qui n’est pas affecté par ce qui se passe sur un autre continent. La sécurité de l’Afrique est donc intrinsèquement liée à celle des autres continents. Nous devons donc créer des partenariats avec toutes les organisations concernées en Europe. Je pense à l’Union européenne, à l’OTAN et à toutes ces organisations, y compris les Nations unies, pour faire en sorte qu’ensemble nous puissions nous attaquer efficacement à nos problèmes d’insécurité. Et encore une fois, nous devons également sensibiliser notre population africaine, le grand public, afin qu’il s’approprie tout ce que les États entreprennent dans ce domaine.

Nodjimbadem : [00:19:32] Et à propos de ces partenariats, que peuvent faire les partenaires internationaux pour renforcer les opérations de paix en Afrique ?

Diop : [00:19:40] Ils peuvent partager leurs expériences. Ils peuvent partager les bonnes pratiques. Ils peuvent partager les coûts des opérations de maintien de la paix. Ils peuvent également participer à l’amélioration des capacités de nos unités africaines parce que, par exemple, si vous prenez les institutions de sécurité en Europe, en Amérique du Nord, elles sont très bien équipées, elles sont très expérimentées, elles sont très qualifiées. Et je suis sûr que les soldats de la paix africains peuvent bénéficier de leur expérience et de leur expertise. La création de ces canaux de collaboration et de coopération entre l’Afrique et tous les partenaires extérieurs est donc, à mon avis, tout à fait judicieuse, notamment en ce qui concerne le partage du fardeau, car, une fois encore, la paix a un coût très élevé et nécessite beaucoup de fonds. Et comme notre sécurité est intrinsèquement liée, nous pouvons trouver des mécanismes qui nous aideront à partager le fardeau, et tout le monde sera à l’aise dans la contribution qui est attendue de lui ou d’elle.

Nodjimbadem : [00:21:08] Eh bien, Général Diop, merci beaucoup d’avoir partagé votre temps et vos précieuses connaissances avec moi et avec le reste de l’auditoire aujourd’hui. Et merci de nous avoir rejoints au Centre d’études stratégiques de l’Afrique.

Diop : [00:21:21] Merci beaucoup. Tout le plaisir est pour moi. Comme vous le savez, le Centre d’études stratégiques de l’Afrique est ma maison. Je collabore avec eux depuis plus de 17 ans maintenant, et je vous remercie vraiment pour ce que vous faites pour faire avancer la paix et la sécurité sur tout le continent. Je vous remercie infiniment.


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